Licencié pour avoir voulu protéger l’eau !

Michel[1], qui préfère témoigner anonymement afin de ne pas perdre une deuxième fois son emploi, a la délicate mission de protéger l’eau alors que la quasi-totalité des cours d’eau et des nappes phréatiques en France sont pollués par les pesticides et les nitrates.

Michel n’aurait jamais pensé être licencié…. Encore moins à 57 ans, pour avoir voulu scrupuleusement faire son travail : préserver l’eau de la pollution agricole !

Michel est animateur « captages prioritaires ». L’eau des captages arrive à nos robinets. Une eau souvent traitée afin de retirer la pollution, ou mélangée à l’eau d’un autre captage plus propre pour ne pas dépasser les seuils de potabilité.

En France, 1000 captages ont été définis comme prioritaires sur 33 000.  L’objectif de classer ces captages comme prioritaires est d’éviter leur fermeture et de diminuer leur pollution en nitrates et pesticides.

Animateur « captages prioritaires » : un métier essentiel

Le rôle de ces animateurs est crucial, « notre travail consiste à tenter de modifier les pratiques agricoles sur les aires d’alimentation pour améliorer la qualité de l’eau », explique ce passionné d’agriculture.

En 2014, Michel est embauché dans l’ouest de la France par des syndicats d’eau, une compétence qui est devenue celle des communautés de communes en 2018. Il s’occupe de quatre captages prioritaires dont trois dépassent les seuils de potabilité. Dès son arrivée, il est prévenu : « il ne doit pas faire de vague ». Il travaille dans un territoire rural et agricole de l’ouest de la France.

Dès son arrivée, il est prévenu : « il ne doit pas faire de vague ».

Avec un autre de ses collègues qui gère également 4 captages, ils réussissent tout de même à mettre en place quelques actions avec des agriculteurs volontaires -une vingtaine sur une centaine- et ils obtiennent même des prix pour leurs animations. Ils ont, par exemple, mis en place des couverts végétaux multi-espèces sur les sols afin de pomper l’azote résiduel et ainsi réduire les nitrates dans l’eau. Ils ont également planté quatorze kilomètres de haies en 7 ans. « Nous avons travaillé avec les agriculteurs qui voulaient en planter, c’est à dire les éleveurs extensifs, les bio, raconte Michel.  Nous avons mis des haies dans les prairies.  Mais afin de vraiment réussir notre mission, il aurait fallu en planter au bord des parcelles d’agriculture industrielle. Au départ, je pensais que c’était possible…  Mais les agriculteurs me disaient : mes grands-parents ont arraché les haies, on ne va pas les remettre… »

Des tentatives de prévention infructueuses

Malgré leurs efforts considérables pour faire changer les pratiques, ces deux animateurs « captages prioritaires » se rendent compte que depuis 2017, toutes les courbes de teneurs en nitrate sur les captages grimpent … Ils ont l’impression de servir de « faire-valoir », avec quelques actions, sans réel impact sur la qualité de l’eau. « Si on ne travaille que sur 10 % des aires d’alimentation, on ne peut pas améliorer la qualité de l’eau. Nous avons insisté en disant qu’il était possible d’y arriver, mais il fallait avoir une autre politique agricole sur l’ensemble de l’aire d’alimentation.  Mais nous étions inaudibles. » Même lorsqu’un agriculteur part à la retraite -moment idéal pour changer de modèle agricole-, Michel n’arrive pas à influer afin de favoriser la reprise par un paysan vertueux. En plein milieu d’un captage prioritaire, en 2022, un éleveur avec un projet  de 20 000 poules a été choisi !

En plein milieu d’un captage prioritaire, en 2022, un éleveur avec un projet  de 20 000 poules a été choisi !

Ces deux animateurs communiquent sur ces évolutions inquiétantes de teneur en nitrate en comité de pilotage qui rassemble entre autres     l’agence de l’eau, les collectivités, l’administration ou la chambre d’agriculture.  Constatant que rien ne change, ils commencent à contacter la presse, les associations et un cabinet d’avocats spécialisé en environnement.  « Nous avons fait des propositions à la Région dans le cadre de la stratégie régionale des captages prioritaires pour qu’une autre agriculture se développe sur ces aires d’alimentation, détaille Michel. Dans ces zones, il faut mettre des prairies, passer à l’agriculture biologique et de conservation afin de limiter fortement le travail du sol et donc permettre de réduire les nitrates. »

C’est à cette même période que les animateurs de ces 8 captages prioritaires demandent une revalorisation de leur statut. A bac+ 5, ils ont un statut de technicien alors qu’ils devraient être cadres…  Sans résultat également. Suite à ces désaccords, le collègue de Michel décide de démissionner et attaque en justice son employeur.

Un licenciement abusif

Et c’est là que les problèmes commencent pour Michel car sa direction s’aperçoit des mails envoyés à la presse, aux associations et au cabinet d’avocats au sein de la boite mail de son ancien collègue.  En 2022, en cdi,  il est licencié pour avoir diffusé des informations confidentielles à l’extérieur. « Il n’y avait rien de confidentiel, s’indigne Michel, toutes ces données sont publiques. C’est hallucinant de dire que les informations sur les captages prioritaires sont confidentielles ! Elles sont accessibles à tous et elles sont payées par de l’argent public. On m’a aussi accusé d’être insubordonné ! J’ai pris des contacts à l’extérieur pour préserver l’eau, un bien commun, et afin de réaliser mon travail… Ça a été difficile à vivre.   J’ai été suivi par le médecin du travail. Puis, j’ai pris un avocat. » Il attaque  en justice son employeur qui négocie une conciliation. « Je me sentais être la personne ressource pour la protection de l’eau dans la structure, explique Michel, alors qu’en fait, j’étais juste le technicien qui obéit aux ordres.  Je me suis aperçu que finalement, j’étais un faire-valoir.  J’avais participé à faire gagner des prix mais je ne devais pas trop la ramener… J’ai servi de caution, j’ai mis les pieds dans le plat et je me suis fait viré… »

Heureusement, Michel retrouve rapidement un travail d’animateur dans un département voisin.  C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il préfère témoigner anonymement. Il ne voudrait pas subir les mêmes problèmes. Une deuxième fois. « Je sais désormais ce que je peux faire et ne pas faire, regrette-t-il. Je prends davantage de précaution. Je ressens de l’amertume et de la colère de ne pas pouvoir exercer pleinement mon travail. »

“J’ai servi de caution, j’ai mis les pieds dans le plat et je me suis fait viré…”

Aujourd’hui, il s’occupe de trois aires d’alimentation où se trouvent 3 captages prioritaires, où la concentration en pesticides et en métabolites continuent d’augmenter et dépassent souvent les normes.  Il est confronté aux mêmes problèmes que lors de son précédent poste. « C’est un énorme bassin, avec environ 650 agriculteurs,

détaille Michel.  Je n’ai réussi à contractualiser qu’avec 2,5 % des agriculteurs. Ces derniers reçoivent de l’argent en échange du respect de certaines normes environnementales.  Ceux qui se sont engagés sont déjà les plus vertueux. Il n’y a donc aucune amélioration de la qualité de l’eau à attendre ! »  Même s’il a éprouvé quelques difficultés à s’habituer à son nouveau poste, il continue d’essayer d’expérimenter. Sa dernière fierté : un essai sans herbicide racinaire avec un agriculteur volontaire qui cultive du colza.

Michel vient de signer un contrat de 3 ans avec son nouvel employeur.  Il ne sait pas encore s’il continuera par la suite ce travail.  Il semble osciller entre résignation et espoir que les pratiques puissent encore évoluer. Durant notre entretien, il n’a cessé de rappeler que ce ne sont pas les agriculteurs qui sont en cause mais une politique encouragée depuis une soixantaine d’années par l’Etat.  « Les agriculteurs sont les victimes parfois consentantes, rappelle Michel. Ce sont parfois des victimes qui participent, qui sont entrées dans le moule et qui se défendent. »

L’eau, un élément vital en péril

Alors que depuis des années, les autorités assuraient une eau au robinet sûre, de nouvelles analyses et recherches de molécules ne cessent de montrer que l’eau serait bien plus polluée que nous ne le pensions, même après avoir été traitée. Nous ne pouvons pas dépolluer l’eau à l’infini, grâce à des techniques toujours plus énergivores et onéreuses afin de boire une eau sans traces de pesticides, de métabolites ou des nitrates. Mettre en place des mesures préventives comme celles expérimentées par les animateurs « capteurs prioritaires » plutôt que de dépolluer l’eau avec des techniques toujours plus complexes   peut coûter jusque 87 fois moins cher !

Le problème est qu’aujourd’hui, la problématique de la qualité est souvent dissociée de celle de la quantité de l’eau, davantage médiatisée.  Les deux sont pourtant intrinsèquement liées.  Par manque d’eau, il devient difficile de fermer des captages à l’envi comme c’était le cas durant des dizaines d’années pour cause de pollution.  Entre 1994 et 2015, 8627 captages ont été fermés. La deuxième solution : mélanger une source polluée avec une moins polluée afin de ne pas dépasser la norme est également de plus en plus délicat…surtout lors des périodes de sécheresse !

 Par manque d’eau, il devient difficile de fermer des captages à l’envi

Les animateurs : des lanceurs d’alerte

Selon Michel, son métier -avec les conséquences du changement climatique- est d’autant plus essentiel. On devrait au moins sur les aires d’alimentation des captages prioritaires expérimenter à grande échelle l’agriculture de demain, l’agroécologie, une agriculture sans pesticides, sans technologie, des hectares où l’on cultive en harmonie avec le vivant. « Sur ces aires d’alimentation, il faut donner aux agriculteurs le statut de producteur d’eau potable et les rémunérer dans ce sens, conseille Michel.  Les paiements pour services environnementaux en agriculture permettent un début d’expérimentation, mais le montant est encore trop limité pour attirer les agriculteurs. » Autre point essentiel :  baser la politique sur le volontariat des agriculteurs, ce n’est pas suffisant. Il faudrait obliger et inciter financièrement tous les acteurs liés aux captages prioritaires. Il serait également nécessaire de sécuriser le métier d’animateur « captages prioritaires », souvent précaire. « Il faudrait reconnaître le statut d’animateur comme celui d’un lanceur d’alerte de protection de l’environnement, préconise Michel.   Il faudrait à la fois être protégé et certifié, c’est à dire que nous puissions avoir les moyens de dresser des procès-verbaux.»

Juliette Duquesne

[1] Le prénom a été modifié

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Commentaires (6)

Gérard Borvon
12 juillet 2023 Répondre

Les animateurs qui font leur métier on les licencie. Les journalistes et associatifs qui informent on les menace de mort. Telle est la loi des lobbies à l'Ouest.

    Juliette Duquesne
    12 juillet 2023 Répondre

    Oui, merci pour votre message Gérard. Bonne journée.

Bertrand
13 juillet 2023 Répondre

Honteux, actuellement nous ne pouvons avoir confiance en personne. L’état fait ce qu’il veulent il a raison en disant qu’il faudrait enfin de faire son travail correctement.
C’est bien dommage de ne pas pouvoir mettre l’état au Tribunal.

    Juliette Duquesne
    1 septembre 2023 Répondre

    Oui, merci beaucoup de votre message !

gilles DEGUET
31 août 2023 Répondre

et pas que dans l'ouest!
la réalité est que depusi presque 20 ans, la politique de protection des captages prioriataies est un fiasco, et ce témoignage explique pourquoi

    Juliette Duquesne
    1 septembre 2023 Répondre

    Oui, merci de votre retour !

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